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Céline du Chéné, l'essentiel est dans la marge

Mise à jour le 05/10/2021
Céline du Chéné
Sommaire
Chaque samedi sur France Culture, Céline du Chéné étoffe son "encyclopédie pratique des mauvais genres", et rend hommage à des personnages hors normes, naviguant dans les marges sombres des arts et de la culture. Portrait d'une passionnée cherchant l'or dans les lisières, qui nous offre ses 5 lieux forcément "mauvais genre" préférés à Paris.
Samedi soir, vingt-deux heures et des poussières. Tandis que les fidèles de l'émission "Mauvais Genres" sont recueilli.e.s derrière leur poste, Céline du Chéné s'empare des ondes de France Culture et nous prend par la main pour un voyage envoûtant, aux confins de contrées très mal fréquentées…
Cette émission rituelle, façon messe noire du samedi soir, est célébrée par l'inaltérable François Angelier, grand prêtre des Mauvais Genres radiophoniques depuis 1997 (on se souvient avec émotion d’une cérémonie en public d’anthologie pour les 20 ans de l’émission). Céline du Chéné est l’une de ses indéfectibles apôtres, et ouvre chaque semaine l’office par le portrait d’un.e individu.e très mauvais genre: on y croise des artistes aux obsessions dérangeantes, des gens aux passe-temps difficilement avouables, d’autres exerçant des métiers non répertoriés… Tou.tes des personnages évoluant hors des radars de la culture mainstream, marchant sur ses trottoirs mal éclairés, qui "permettent d’entrouvrir les portes de mondes parallèles, intimes et fantasmatiques", comme elle le dit joliment dans son "Encyclopédie pratique des mauvais genres", parue en 2017 aux excellentes éditions Nada.
On ne vous épargnera pas la rituelle question qui depuis plus de 20 ans torture les plus éminents spécialistes: mais qu’est-ce donc que ce satané "mauvais genre"? Céline du Chéné ne se risque pas à l’impossible tâche de la définition, comme on le lit dans son ouvrage: "Apparue sous la plume de Balzac en 1835, cette formule, joliment désuète de nos jours, permet toutes les interprétations: on peut se l’approprier, accommoder son sens, la décliner selon ses envies. Libre à chacun d’en faire sa propre définition". Elle préfère ainsi en esquisser chaque samedi et à chaque page, au fil de ses portraits, une riche arborescence, chaque branche figurant une obsession, un fétiche, un art borderline développant parfois ses propres ramifications. Dans son ouvrage organisé tel un abécédaire, on croise une sommité des dominatrices de la place parisienne, une sorcière utilisant le sang de ses règles comme matière de création, une artiste souillant jusqu’au malaise les contes de fées, un fétichiste des chaussettes de football… qui révèlent, en dépit de leurs dérangeantes singularités, des personnalités parfois attachantes, souvent fascinantes, et tiennent des discours réfléchis et poétiques sur leurs pratiques.

Pour récolter la matière de ses chroniques, Céline du Chéné se donne généralement une heure d’immersion dans l’univers de son sujet, le plus souvent rencontré au sein de son atelier. Sa méthode pour recueillir une parole "utile"? Laisser l'artiste s’exprimer en toute liberté, et simplement relancer la conversation lorsque c’est nécessaire: "je vais chez les gens, ce qui rend l'entretien plus intime: les gens sont chez eux, a priori ils s'y sentent bien. Quant à moi, voir leur environnement me donne de nouveaux éléments sur eux, c'est parfois impalpable, mais ça aide". Les entretiens se muent ainsi parfois en parenthèses hors du temps, comme lors de la visite rendue à la céroplasticienne Nathalie Latour, au milieu de ses stupéfiants bustes anatomiques… À Céline ensuite d’extraire la substantifique moelle de ces paroles, dont elle liera les extraits par des "micros" très soigneusement écrits, déclamés d’une voix douce et enveloppante, à laquelle, vous l’aurez compris, il ne faut surtout pas se fier…
Encyclopédie pratique des mauvais genres
Encyclopédie pratique des mauvais genres
Crédit photo : Nada Editions
Son fidèle complice Laurent Paulré, virtuose de l’accompagnement sonore, se chargera ensuite de faire baigner ces paroles dans une ambiance souvent sombre et inquiétante: "metteur en ondes de l'émission, orfèvre de l'ombre, [il est celui] qui, par son originalité et son sens du tempo, magnifie l'univers des autres", dit-elle de lui dans son ouvrage. A ses côtés, elle s'autorise quelques infidélités à l'émission en réalisant des documentaires sonores, des portraits, des entretiens, jamais très loin du mauvais genre, et s'aventurant parfois dans des mondes qui la fascinent, comme avec sa magnifique série "Pas si bêtes, la chronique du monde sonore animal", ou encore celle non moins passionnante sobrement intitulée "Sorcières". Il leur arrive également des créer de captivantes déambulations sonores, immersives et méditatives, dans des lieux insolites comme le Musée de la Chasse et de la Nature. Prochain rendez-vous le 3 avril avec "Voix animales", où celles-ci se mêleront dans les allées du musée à des voix humaines, celles de scientifiques, naturalistes et d’artistes, qui ont appris à les écouter.
Modeste, discrète, Céline du Chéné réalise pourtant un travail ambitieux et important, de ceux qui restent: la mise en lumière, fugace, mais toujours plus étendue au fil des semaines, d'une culture parallèle refoulée, la parole donnée à des personnages œuvrant dans des disciplines ni plus, ni moins nobles, que celles censément plus légitimes. Son œuvre, cette encyclopédie pratique des mauvais genres, révèle en creux un monde souterrain, le nôtre, mais distordu, où les freaks et les parias seraient les rois, où nos passions et plaisirs inavouables seraient dédramatisés, et pourraient s'épanouir en liberté. Pas mal pour six minutes de parole hebdomadaires!
Et maintenant, place aux travaux pratiques: Céline du Chéné nous parle de ses cinq lieux "mauvais genre" préférés à Paris…

Librairie

Fanzines et livres rares, mauvais genres par excellence. Le libraire Jacques Noël n'est plus, mais son âme veille toujours, il reste un peu de poussière d'ange sur les livres…
Un regard moderne
10 Rue Gît-le-Cœur Paris 6E
Un regard moderne
Un regard moderne
Crédit photo : DR

Musée

Notamment pour l'incroyable guéridon d'Efisio Marini, composé de cervelle, de sang, de bile, de foie, de poumons et de glandes pétrifiés, d'un pied, quatre oreilles et de vertèbres coupés…
Musée d'Histoire de la médecine
12 rue de l\'Ecole de Médecine PARIS 6E
table Efisio Marini
table Efisio Marini
Crédit photo : Monsieur N.

Insolite

Ancien lieu très mauvais genre d'amours clandestines et de prostitution, où l'on pouvait croiser des "soupeurs", individus férus de croûtons de pain imbibés d'urine…
Dernière vespasienne de Paris
75 Boulevard Arago Paris 14E
Dernière vespasienne parisienne
Dernière vespasienne parisienne
Crédit photo : Céline du Chéné

curiosité

La dominatrice Catherine Robbe-Grillet y donna une cérémonie SM, où elle fouetta un jeune soumis attaché à un anneau d'amarrage dans les lumières blanches des bateaux mouches…
Anneau d'amarrage
Quai François-Mitterrand Paris 1E
Anneau d'amarrage
Anneau d'amarrage
Crédit photo : B. Monginoux

bucolique

Eros et Thanatos règnent, les statues prennent des poses lascives, dans l'extase de l'amour et de la mort. La tombe de Victor Noir au sexe proéminent au bronze doré à force d'être caressé..
Cimetière du Père-Lachaise
16, rue du Repos Paris 20E
Tombe de Victor Noir
Tombe de Victor Noir
Crédit photo : DR

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